Ressources libres ou blanchiment par l’accès?

cmbyaaewqaenrlaLogiciels libres, ressources éducatives libres, publication libre de la recherche et données ouvertes pour l’enseignement : suffit-il qu’on puisse y accéder gratuitement pour que ce soit libre?

Définition du concept de blanchiment par l’accès

Le blanchiment par l’accès consiste à donner accès à un logiciel, des ressources éducatives, de la recherche, des textes ou productions, des données, sans permettre aux utilisateurs d’en tirer pleinement parti pour être plus libres, plus autonomes et plus collaboratifs. Concepts voisins : greenwashing ou éco-blanchiment; ou encore «blanchiment par les données» pour traduire openwashing dans le contexte des données ouvertes [source].

Logiciels libres

  • Le thème des logiciels libres est trop souvent oublié, ou noyé dans un flux d’informations logicielles axées sur la nouveauté, sans discrimination. Or, quand un logiciel libre répond aux besoins, c’est lui qu’il faut conseiller, pas une pléthore de logiciels plus ou moins gratuits, mais non libres. Le vertige du choix des outils est peu compatible avec le souci de la liberté. À titre d’exemple, le terme: «Logiciel libre» ne survient pas une seule fois dans les quelque 350 pages des rapports dits Demers et Corbo qui sont à l’origine de la réflexion sur la création du Conseil des collèges et du Conseil des universités, comme l’Adte a eu l’occasion de le dire aux experts lors de l’audition de ses mémoires [documents].
  • Le logiciel libre demande sensibilisation, information, partage, car les solutions rapides, imposées mur à mur ou presque, ne sont souvent pas durables (cf. LibreOffice aux ministères de la Défense, de l’Éducation et de la Culture, où Microsoft Office a repris le terrain perdu). Il vaut mieux la lenteur qui préside à un choix volontaire, progressif, collectif et éclairé.
  • Attention à la métonymie : on dit couramment : «boire un verre» alors que, bien sûr on ne boit pas un verre (le contenant) mais son contenu. Ainsi, en gestion de projet, par exemple, on n’enseigne pas un logiciel (non libre, comme MS Project), on enseigne les principes et les méthodes de la gestion de projet (pourquoi pas, alors, avec un logiciel libre?), surtout en enseignement supérieur.
  • Au Québec, le cadre juridique est contenu dans une loi: Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement, dont voici l’extrait le plus significatif à notre propos : « Que les organismes publics considèrent les logiciels libres au même titre que les autres logiciels. » Article 7, 8e alinéa [source]
  • Double paradoxe de la gratuité :
    – d’une part, on prétend que les logiciels libres comportent des coûts, or cela peut être une confusion avec le coût de serveur si le logiciel nécessite un serveur ou avec le coût professionnel s’il y a mutualisation de services, comme dans le cas du catalogage dans le cas du logiciel libre Koha pour les bibliothèques;
    – d’autre part, la production et l’entretien du logiciel libre ne sont pas gratuits; il faut donc que les établissements évitent de se comporter en consommateurs égoïstes et aveugles et soutiennent les communautés du logiciel libre avec une fraction des économies réalisées grâce au logiciel libre.
  • Exemples d’adoption de logiciels libres dans l’enseignement supérieur : Maxima (choisi à la place de Mathematica ou Maple), Shortcut (choisi à la place d’Adobe Premiere), [Open Sankoré] OpenBoard avec les ressources éducatives libres de Planète Sankoré, et surtout BigBlueButton (choisi à la place d’Adobe Connect).  Pour en savoir plus, voir la liste des logiciels libres recommandés par l’Adte et les articles du blogue Logilibre.

 

Ressources éducatives libres 

●   Définition des ressources éducatives libres par l’Unesco : «Les ressources éducatives libres sont des matériaux d’enseignement, d’apprentissage ou de recherche appartenant au domaine public ou publiés avec une licence de propriété intellectuelle permettant leur utilisation, adaptation et distribution à titre gratuit» [source].

●    Remarques de Richard Stallman : « Éducateurs, enseignants, et tous ceux qui souhaitent contribuer aux œuvres de formation en ligne : s’il vous plaît, veillez à ce que votre travail ne devienne pas non libre. Offrez votre contribution et vos textes à des œuvres pédagogiques qui utilisent des licences libres, de préférence des licences avec copyleft de façon à ce que toutes les versions de l’œuvre respectent la liberté des enseignants et des étudiants. Ensuite, invitez les projets éducatifs à utiliser et redistribuer ces œuvres sur ces bases de respect de la liberté, s’ils le souhaitent. Ensemble, nous pouvons faire de l’éducation un champ de liberté. » [source]

●    Définition d’Eduscol : « le manuel numérique permet d’accéder à un ensemble de ressources multimédia éditorialisées et libres de droit ainsi qu’aux services associés aux contenus qui permettent la personnalisation et l’interactivité » [source].

  • La notion d’interactivité permet d’entrevoir que des pratiques pédagogiques innovatrices [pratiques éducatives libres (PEL)] sont induites par l’accès libre des apprenants aux ressources, sans être automatiques, et que ces progrès sont de toute première importance, étant donné leur impact sur l’apprentissage et la réussite.
  • Dommage qu’Eduscol utilise une licence déconseillée par Richard Stallman, la licence CC BY NC SA (NC pour non commercial). Faute d’être totalement libre, Eduscol fait-il, sans le savoir, du blanchiment par l’accès? Il ne serait pas le seul organisme dans ce cas.

 

Publication libre de la recherche

  • La loi pour une République numérique, récemment promulguée en France, édicte : «Art. L. 533-4. – I. – Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l’accord des éventuels coauteurs, la version finale de son manuscrit acceptée pour publication, dès lors que l’éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique ou, à défaut, à l’expiration d’un délai courant à compter de la date de la première publication. Ce délai est au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales.» [source]
  • La loi prévoit aussi la redistribution de la recherche et de ses données, dont acte. Mais elle ne prévoit pas la liberté de modification, l’une des quatre libertés stallmaniennes.
  • Dépôt universitaires : ils sont nécessaires pour rendre la recherche (et ses données) disponibles, mais n’autorise-t-on que l’accès? Si oui, il s’agit d’une forme [involontaire, faut-il espérer] de blanchiment par l’accès. Comme le relève Magda Fusaro, vice-rectrice aux Systèmes de l’information de l’Université du Québec à Montréal, la motivation des chercheurs de participer à un tel dépôt est toujours à travailler [source]; ajoutons : d’autant plus qu’il faudrait aller jusqu’à permettre la redistribution et la modification ordonnées et balisées selon la licence Creative Commons CC BY SA 4.0, par exemple.
  • Remarques de Richard Stallman : « Dès 2002, l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert (BOAI: Budapest Open Access Initiative) appelait à appliquer les deux principes suivants à toute publication scientifique : accès pour tous au site principal de publication, et liberté de redistribution pour tous. » [ source]
  • La question de la publication libre de la recherche débouche sur la question des droits d’auteur et sur les données ouvertes.

 

Droits d’auteur

  • Les droits d’auteur moraux sont à préserver. Par contre, dans un contexte éducatif, les droits d’auteur économiques sont un frein à l’accessibilité, car toute publication de chapitre pour étude de la part du professeur doit passer par un processus aboutissant à une vente – ainsi, plus on étudie, plus on lit, plus on paie;
  • Le processus d’obtention des droits économiques est aussi limitatif dans le sens où, il devient impossible en pratique pour des étudiants de partager entre eux des chapitres qu’ils découvrent dans leur recherche avec d’autres étudiants de la classe;
  • Charte de Madrid sur la Culture libre : Charter for innovation, creativity and access to knowledge, version 2.0.1. [source] La charte répond à l’objection que des créateurs ont besoin d’être rémunérés pour leur travail : dans ce cas, que le ministère de la culture les subventionne, mais qu’ils ne viennent pas grever le budget de l’éducation et, pire encore, ralentir ou freiner l’éducation par des processus limitatifs pour répertorier les utilisations en vue de verser des droits économiques.
  • La licence CC BY SA 4.0 est actuellement la seule licence conforme aux critères du libre, car elle permet la diffusion avec reconnaissance de paternité, n’a pas de limite, y compris pour le commerce, permet la modification et oblige à rediffuser la modification.
    Son symbole est : cc-by-sa_1-svg
  • Bien que des arrêts de la Cour suprême du Canada aillent dans le sens de la liberté d’utilisation de textes pour la recherche, l’enseignement et l’apprentissage, des ententes sont signées, par exemple au Québec, avec des organismes représentants les auteurs et les éditeurs afin d’exiger des droits économiques dans un processus forcément limitatif. La force des habitudes est telle que, s’il sera nécessaire, on le voit bien, de revisiter de telles ententes, cela pourra prendre beaucoup de temps.
  • Au moins, la production de ressources [vraiment] libres n’a pas le défaut de commander des droits d’auteur économiques; c’est pourquoi c’est un enjeu de l’enseignement supérieur que d’en favoriser la production, la distribution et la modification – et pas seulement d’y donner accès.

 

Données ouvertes pour l’enseignement et l’apprentissage

  • La publication des données donne lieu au blanchiment par les données : sur le blanchiment par les données ou openwashing; c’est une forme de blanchiment par l’accès.«Le blanchiment par les données (openwashing) consiste à diffuser des informations sélectives sans fournir aux citoyens un environnement où ils peuvent librement utiliser ces données – que ce soit pour bâtir des entreprises ou pour tenir le gouvernement imputable.» [source].
  • Les buts le plus souvent mis de l’avant pour la publication des données sont la démocratisation et l’innovation économique; on ne mentionne presque jamais l’enseignement ni l’apprentissage. Pourtant il y a des retombées sur l’enseignement et l’apprentissage. Il s’agit d’une double retombée : d’une part, comme matière dans des cours et pour les projets étudiants; d’autre part, pour l’individualisation de l’enseignement et de l’apprentissage (Learning Analytics). Déjà, la cote R (pour l’admission dans les programmes universitaires contingentés) tient compte de la moyenne générale au secondaire (MGS) individuelle des membres de chaque groupe-classe, car elle est un prédicteur de réussite.
  • Pour référence sur les données ouvertes, voir le Plan bisannuel 2016-2018 du Canada. [document]. «Le Sommet mondial 2016 du PGO aura lieu à Paris, en France, du 7 au 9 décembre 2016.» [source]
  • Sur Learning Analytics, analyse des données pour l’apprentissage : «comprendre l’activité des apprenants afin de prédire l’apprentissage, d’intervenir sur l’apprentissage, de l’adapter et de le personnaliser.», définition extraite d’une présentation de Laurence Lachapelle-Bégin. La même présentation se réfère à un exemple d’analyse des données pour l’apprentissage aux États-Unis : Capella University, près de Minneapolis.
  • On consultera enfin avec profit plusieurs interventions françaises et américaines sur le thème Learning Analytics : promesses et réalités, lors des Conférences en e-Education de décembre 2015, mises en ligne par Sup-numérique.gouv.fr, portail du numérique dans l’enseignement supérieur, en France, dont la définition suivante: «Les Learning Analytics peuvent se définir comme la collecte, l’analyse et l’utilisation intelligentes de données produites par l’apprenant. Les algorithmes et les outils logiciels qui permettent la mise en relation des données numériques sur les apprenants, l’application d’analyses statistiques, la détermination ou l’inférence de comportements, la construction de tableaux de bord ou de rapports qui révèlent des tendances relèvent des Learning Analytics


Pratiques éducatives libres

  • Les pratiques éducatives libres (PEL), sont un élément-clé de la solution au blanchiment par l’accès : la perspective de rendre les apprenants autonomes et collaboratifs évite le blanchissement par l’accès, dans la mesure où elle commande et rend naturel le contrôle entier par l’apprenant des logiciels, ressources, textes et données mis à sa disposition.

 

Le 4e Colloque libre de l’Adte 2017 permettra de discuter et d’approfondir les thèmes de cet article[page web inscription]. Site web de l’Adte : http://adte.ca Contact par courriel avec l’auteur : pierre@adte.ca

Vos idées ou un expériences peuvent être partagées en commentaire de cet l’article.


P
ierre Cohen-Bacrie
Conseiller pédagogique TIC
Collège Montmorency
Secrétaire de l’Adte

 

Cet article est issu d’une communication de l’auteur au Colloque international e-éducation, organisé par l’université TÉLUQ, , en collaboration avec l’École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESENESR), le 9 novembre 2016, à Montréal avec lien vidéo à Poitiers.

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