Science ouverte à Montréal

L’enjeu principal du concept de “science ouverte” est une intéressante avancée de la connaissance, en lien avec la recherche scientifique, ses données, le développement de l’informatique, la prise de conscience des immenses capacités de partage de l’Internet (géométriquement proportionnelles au progrès technique) et l’engagement de nombre de scientifiques, des moins connus aux plus prestigieux.

Dans le domaine de l’intelligence artificielle

Dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond, Yoshua Bengio, fondateur et directeur scientifique du Montreal Institute for Learning Algorithms (MILA, institut de l’Université de Montréal et de l’Université McGill), prix Turing et prix Killam, qui donnera une conférence au colloque de l’Adte de juin 2019, en est un.

Dans le domaine des neurosciences

Dans le domaine des neurosciences, Guy Rouleau, directeur de l’Institut et hôpital neurologiques de l’Université McGill, est à l’origine, avec son équipe et avec la Fondation familiale Larry et Judith Tanenbaum, d’une initiative de partage des connaissances scientifiques assez complète, dont il a fait mention au colloque de l’Adte de mai 2018.

Annabel Seyller est présidente directrice générale de l’Institut de science ouverte
Tanenbaum
, situé à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, à l’Université McGill. Elle accordait, le 15 novembre 2018, une entrevue radiophonique à CL’Hebdo. La transcription qui suit a été réalisée par l’Adte. L’entrevue, peut aussi être écoutée à partir de la minute 13.

Pierre Cohen-Bacrie
Vice-président de l’Adte

Entrevue d’Annabel Seyller

Annabel Seyller, PDG de l’Institut de science ouverte Tanenbaum

CL’Hebdo [CLH] : On connaît le principe des données ouvertes, partage de données rendues publiques, qui sont librement accessibles et réutilisables. Vous développez la science ouverte. Est-ce que cela a un lien avec les données ouvertes?

Annabel Seyller [AS] : Le concept de science ouverte est un concept extrêmement large, qui inclut des données ouvertes. Le concept de science ouverte a pris son essor au cours des dernières années et suscite un engouement au niveau international, Au départ, la science ouverte consistait surtout à partager les données associées à des publications scientifiques également ouvertes. L’Institut neurologique de Montréal a décidé, il y a deux ans maintenant [grâce à la donation de la fondation Tanenbaum], de prendre une position un peu plus pionnière en ajoutant à la composante de données ouvertes et de publication ouvertes des notions de bio-banque ouverte, de découverte et de développement du médicament ouverts, et une notion de propriété intellectuelle compatible avec cette philosophie de partage.

  • CHL : Le libre accès à l’information ouvre tous les avantages de la collaboration, de la mutualisation de l’information, mais la science répond aussi au principe du bien commun, principe parfois défendu de manière très ferme par la communauté scientifique. En ce qui a trait au domaine public, la logique est claire, mais comment peut-on inscrire le domaine privé dans la science ouverte?
  • AS : Je pense que c’est compatible. Pour nous, à l’Institut neurologique de Montréal, cela répond à une frustration et à une urgence d’agir. L’implantation de la science ouverte et des outils de la science ouverte est pour nous un accélérateur de mission. Dans le domaine des neurosciences, l’Institut neurologique de Montréal, qui est aussi un hôpital (appelé communément le Neuro),a à la fois une mission académique de développement des connaissances, de recherche et de formation, de par son affiliation à l’Université McGill, et une mission de pratique, de soins et d’accompagnement de patients au quotidien, d’où son affiliation également au Centre universitaire de santé McGill. C’est cette double affiliation et cette double mission qui font de notre Institut et de notre Hôpital une organisation intégrée qui offre un continuum d’activités et de services, depuis le laboratoire du chercheur jusqu’au chevet du patient. Accélérer la recherche pour le bénéfice du patient est un principe fondateur du Neuro, créé en 1934 par le docteur Penfield; il s,agit de développer les connaissances mais aussi de développer de meilleures pratiques et des traitements pour les patients. Les principales maladies neurologiques sont la SLA, la sclérose latérale amyotrophique (plus communément appelés la maladie de Lou Guering), la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques. Dans le cas de la maladie de Parkinson, elle est connue depuis plus de deux cents ans, sans qu’on ait, à l’heure actuelle, une option de traitement. Malgré le fait que l’on soit à l’ère du Big Data, que l’on ait un potentiel extraordinaire de collaboration grâce à l’intelligence artificielle, que des investissements majeurs soient faits en recherche dans ce domaine, on n’arrive toujours pas à développer des traitements, soit pour ralentir la progression de ces maladies ou pour complètement les éradiquer. Il y a donc un sentiment de frustration et d’urgence d’agir, dont le directeur du Neuro, le docteur Guy Rouleau, est bien conscient. puisqu’il est en contact lui-même avec les patients. C’est pourquoi le Neuro est le premier Institut au monde à avoir une politique de science ouverte. Nous encourageons donc non seulement le partage des données et des publications, mais nous créons une bio-banque d’échantillons de patients (sang, urine, tissu musculaire, liquide céphalo-rachidien), en entrant une granularité d’information pour chacun des patients, une traçabilité, en ajoutant à ces échantillons des données cliniques, d’imagerie, de génétique, d’études comportementales, pour arriver à ce qu’on appelle en anglais du Deep Phenotyping, à catégoriser extrêmement bien incertaine cohortes de patients en lien avec certaines pathologies. Ceci a une grande importance pour faciliter la recherche scientifique.
  • CLH : N’y a-t-il pas un blocage dû aux considérations éthiques, de normes, aux considérations de type légal ?
  • AS : Ces considérations sont importantes, mais elles n’ont pas constitué un frein à notre initiative. Nous avons mis en place, en prenant le temps nécessaire, un cadre éthique et différents formulaires de consentement du patient. Ce qui a aidé à ne pas ressentir de blocage, c’est le fait que les patients ressentent aussi cette frustration du manque de traitement et sont partenaires dans l’initiative. Certains patients ont le désir de s’impliquer et sont altruistes. Le diagnostic de SLA (ALS en anglais) prévoit généralement une évolution de trois à cinq ans avant une issue fatale. Ces patients se doutent que l’application éventuelle de découvertes facilitées par la bio-banque ne sera probablement pas pour eux, mais pour les générations à venir. Et ils sont nombreux à participer.
  • CLH : Merci. Au delà des patients eux-mêmes, la science ouverte implique-t-elle une participation citoyenne ?
  • As : Les patients sont des parties prenantes très importantes dans la science ouverte au Neuro. Il y a interaction avec les patients et avec différentes communautés. De plus, l’application de ces principes de science ouverte au Neuro est aussi une expérience sociale, car nous canetons d’opérer un changement de culture. La recherche scientifique est encore un milieu qui promeut la protection des données, qui n’encourage pas toujours une grande collaboration, parce que c’est un milieu compétitif qui croit malheureusement que la propriété intellectuelle est utile ; d’où le système de publication dans les meilleurs journaux, assurant ainsi la promotion de carrière. Nous cherchons donc des mécanismes pour reconnaître au niveau universitaire la contribution de chacun de nos chercheurs et de nos étudiants à la pratique des sciences ouvertes. La nouvelle génération de chercheurs qui arrive au Neuro est attirée par le partage et par la collaboration inhérents à la science ouverte.
  • CLH : Cet automne, on a vu émerger dans le monde de la recherche une sorte de révolte contre des éditeurs scientifiques ou contre des revues prestigieuses. En cause, des pratiques monopolistiques avec des hausses tarifaires inacceptables pour les établissements universitaires, mais aussi une forme de privatisation des données de recherche, en particulier en intelligence artificielle. Est-ce que la science participative serait la science de demain ?
  • AS : Oui. Ce que nous sommes en train de faire au Neuro soulève un engouement au niveau international et on sent que ce que nous bâtissons dans le domaine des neurosciences résonne dans d’autres disciplines. La publication scientifique est une pièce majeure de l’écosystème et n’est pas actuellement propice au partage des données. Pour trouver des modalités différentes et les appliquer, cela prend du temps. Nous avons développé une collaboration avec Faculty of the Thousand, un éditeur de Londres qui a bâti une plateforme de publication ouverte pour les besoins du Neuro. Cette plateforme s’appelle MNI Open Research. C’est un site web qui a actuellement en ligne et permet à nos chercheurs de publier leurs données rapidement et de les rendre accessibles. Cela permet aussi une revue par certains arbitres ou commentateurs externes qui est, elle aussi, ouverte. La transparence du processus est totale. Enfin, la science ouverte permet de profiter du Negative Data, autrement dit, une expérience dont le résultat n’est pas celui escompté a tout de même de la valeur. Il faut la partager pour éviter la duplication des efforts et pour avoir (ce qui compte pour les citoyens) une meilleure utilisation des fonds publics consacrés à la recherche.

Annabel Seyller
PDG de l’Institut de science ouverte Tanenbaum

Retranscription : Pierre Cohen-Bacrie

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