Ressources numériques et licences non libres

Ressources numériques et licences non libres, par Richard Stallman
Des universités de premier plan utilisent une licence non-libre pour leurs ressources numériques éducatives. C’est déjà une mauvaise chose en soi, mais pire encore, la licence utilisée a un grave défaut.

Lorsqu’une oeuvre doit servir à effectuer une tâche pratique, il faut que les utilisateurs aient le contrôle de cette tâche, donc ils ont besoin d’avoir du contrôle sur l’oeuvre elle-même. Cela s’applique aussi bien à l’enseignement qu’au logiciel. Pour que les utilisateurs puissent avoir ce contrôle, ils ont besoin de certaines libertés (cf. la définition du logiciel libre sur gnu.org), et l’on dit que l’oeuvre est libre. Pour les œuvres qui pourraient être utiles dans un cadre commercial, les libertés requises incluent l’utilisation commerciale, la redistribution et la modification.

Licence Creative Commons
CC BY-SA 3.0. Paternité – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.

Creative Commons publie six licences principales. Deux sont des licences libres : la licence « Partage dans les mêmes conditions » CC-BY-SA est une licence libre avec copyleft forçant l’utilisation de la même licence pour les oeuvres dérivées, et la licence « Attribution » CC-BY qui est une licence libre sans copyleft. Les quatre autres ne sont pas libres, soit parce qu’elles ne permettent pas de modification (ND) soit parce qu’elles ne permettent pas d’utilisation commerciale (NC).

Selon moi, les licences non libres qui permettent seulement le partage sont légitimes pour des œuvres artistiques ou de divertissement. Elle le sont également pour des œuvres qui expriment un point de vue (comme cet article lui-même). Ces œuvres ne sont pas destinées à une utilisation pratique, donc l’argument concernant le contrôle par l’utilisateur ne s’applique pas. Ainsi, je ne vois pas d’objection à ce qu’elles soient publiées sous licence CC-BY-NC-ND, qui ne permet que la redistribution non commerciale de copies identiques à l’original.

L’utilisation de cette licence pour une oeuvre ne signifie pas qu’il soit totalement impossible de la publier commercialement ou avec des modifications. La licence n’en donne pas la permission, mais vous pouvez toujours demander la permission au détenteur du droit d’auteur, peut-être avec un contrepartie, et il se peut qu’il vous l’accorde. Ce n’est pas obligé, mais c’est possible.

Cependant, deux des licences non libres CC mènent à la création d’œuvres qui, en pratique, ne peuvent pas être publiés à des fins commerciales, car il n’existe aucun moyen d’en demander l’autorisation. Ce sont les licences CC-BY-NC et CC-BY-NC-SA, les deux licences CC qui autorisent les modifications, mais pas l’utilisation de manière commerciale.

Le problème est qu’avec Internet les gens peuvent facilement (et légalement) empiler les modifications non-commerciales les unes sur les autres. Sur des décennies, il en résultera des œuvres avec des centaines, voire des milliers de contributeurs.

Qu’arrive-t-il si vous voulez utiliser commercialement l’une de ces œuvres ? Comment pouvez-vous en obtenir l’autorisation ? Il vous faut demander aux principaux titulaires de droits. Peut-être que certains d’entre eux ont apporté leur contribution des années auparavant et sont impossibles à retrouver. D’autres peuvent avoir contribué des décennies plus tôt, ou même sont décédés, mais leurs droits d’auteur n’ont pas disparu avec eux. Il vous faut alors retrouver leurs descendants pour demander cette autorisation, à supposer qu’il soit possible de les identifier. En général, il sera impossible de se mettre en conformité avec les droits d’auteur sur les œuvres que ces licences incitent à créer.

C’est une variante du problème bien connu des « œuvres orphelines », mais en pire, et ce de manière exponentielle ; lorsque l’on combine les oeuvres de très nombreux contributeurs, le résultat final peut se trouver orphelin un nombre incalculable de fois avant même d’être né.

Pour éliminer ce problème, il faudrait un mécanisme impliquant de demander l’autorisation à quelqu’un (faute de quoi la condition NC devient sans objet) mais pas de demander l’autorisation à tous les contributeurs. Il est aisé d’imaginer de tels mécanismes ; ce qui est difficile, c’est de convaincre la communauté qu’un de ces mécanismes est juste et d’obtenir un consensus pour l’accepter.

Je souhaite que cela puisse se faire, mais les licences CC BY-NC et CC BY-NC-SA, telles qu’elles existent aujourd’hui, doivent être évitées.

Malheureusement, l’une d’entre elle est très utilisée. La CC BY-NC-SA, qui autorise la publication non commerciale de versions modifiées sous la même licence, est devenue à la mode dans le milieu de la formation en ligne. Les Open Courseware (cours « ouverts ») du MIT l’ont lancée, et de nombreux autres établissements d’enseignement ont suivi le MIT dans cette mauvaise direction. Alors que, pour les logiciels, open source signifie « probablement libre, mais je n’ose pas l’affirmer, donc tu dois vérifier toi-même », dans la plupart des projets d’enseignement en ligne open veut dire « non libre ».

Quand bien même le problème posé par les CC BY-NC-SA et BY-NC serait résolu, elles continueront de ne pas être la bonne façon de publier des œuvres pédagogiques censées servir à des tâches pratiques. Les utilisateurs de ces œuvres, enseignants et étudiants, doivent avoir le contrôle de leur travail, et cela requiert de les rendre libres.

J’exhorte Creative Commons à prendre position et à déclarer que les œuvres censées être utilisés en pratique, y compris la documentation pédagogique et les œuvres de référence soient, comme les logiciels, diffusés uniquement sous des licences libres.

Éducateurs, enseignants, et tous ceux qui souhaitent contribuer aux œuvres de formation en ligne : s’il vous plaît, veillez à ce que votre travail ne devienne pas non libre. Offrez votre contribution et vos textes à des œuvres pédagogiques qui utilisent des licences libres, de préférence des licences avec copyleft de façon à ce que toutes les versions de l’oeuvre respectent la liberté des enseignants et des étudiants. Ensuite, invitez les projets éducatifs à utiliser et redistribuer ces œuvres sur ces bases de respect de la liberté, s’ils le souhaitent. Ensemble, nous pouvons faire de l’éducation un champ de liberté.

par Richard Stallman
Version originale anglaise

 

Copyright 2012 Richard Stallman, publié sous licence Creative Commons Attribution – Pas de Modification 3.0 (CC BY-ND 3.0) Traduction du 28 janvier 2013 par Framasoft, revue par l’Adte.

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